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Un bref historique du conflit du Haut-Karabagh

L’Artsakh, nom arménien du Karabagh, peut être considéré comme l’une des plus anciennes terres arméniennes riches d’une histoire de plus de deux millénaires. Le but n’est pas ici de présenter une histoire intégrale, continue et exhaustive de cette région qui est considérée comme l’un des foyers majeurs, voir le creuset, de l’identité et de la civilisation arméniennes, mais simplement de donner quelques repères sur son histoire la plus récente et l’origine du conflit actuel.

Les origines modernes du conflit, 1918- 1988.

En mai 1918, à la suite du retrait de l’armée russe du Sud-Caucase, l’Arménie, la Géorgie et l’Azerbaïdjan, jusque-là intégrés à l’Empire des Tsars, déclarent leur indépendance.

La Conférence de la Paix de Paris reconnaît de facto l’Arménie; elle charge le Président américain Woodrow Wilson de définir ses frontières par une sentence arbitrale. 

La même conférence refuse la demande de reconnaissance de l’Azerbaïdjan en raison des prétentions démesurées et infondées de ce pays sur des territoires géorgiens et arméniens. L’Arménie et l’Azerbaïdjan s’opposent en particulier sur la question de l’appartenance des régions du Karabagh et du Nakhitchevan, qui reste ainsi en suspens.

En 1920, les deux pays sont occupés par l’armée rouge et soviétisés. En mars 1921, c’est la Géorgie voisine qui est occupée par l’Armée rouge.

La même année, après une première décision en faveur du rattachement du Karabagh à l’Arménie, le Bureau caucasien du Parti Bolchevik change radicalement de position sous la pression directe de Staline. Compte tenu de la proximité ethnique et linguistique entre les Turcs et les habitants de l’Azerbaïdjan, et soucieux de se servir de Mustapha Kemal pour favoriser l’expansion du communisme dans le monde turcophone, Staline ordonne la mise sous tutelle de l’Azerbaïdjan soviétique des deux régions: le Nakhitchevan à majorité relative d’Arméniens, et le Karabagh, habité presque exclusivement d’Arméniens. Celles-ci forment ainsi la République autonome du Nakhitchevan et la région autonome du Haut-Karabagh, rattachées administrativement à l’Azerbaïdjan, mais avec un certain degré d’autonomie par rapport au pouvoir de Bakou. 

Cette décision émanant d’un parti politique d’un État tiers, le Parti communiste de Russie, sans fondement juridique ni aucune légitimité, constitue un acte sans précédent ni  équivalent dans les annales  du droit international.

En 1923, suite au décret de l’URSS de créer l’Oblast appelé « Région Autonome du Haut-Karabagh » (RAHK), l’Azerbaïdjan annexe la région mitoyenne du « Karabagh de la plaine », s’appropriant ainsi de vastes pans du territoire de cette province historique de l’Arménie (Canton du Kartman), en supprimant la continuité territoriale entre la région autonome et l’Arménie. La Région autonome du Haut-Karabagh devient ainsi une enclave à l’intérieur de l’Azerbaïdjan, coupée de l’Arménie soviétique.

Pendant toute la période soviétique, face aux discriminations  et exactions de toutes sortes, et en particulier face à la politique économique et démographique délibérée de « désarménisation» de la région par l’administration azerbaïdjanaise, la population arménienne du Haut-Karabagh n’a eu de cesse de demander son rattachement à l’Arménie, subissant en retour des vagues successives de purges, de déportations et d’exécutions.

La « Glasnost » et la « Perestroïka » Gorbatchéviennes à l’épreuve de l’histoire.

A l’apparition de la « Glasnost » et de la « Perestroïka » de Gorbatchev, la politique délibérément  discriminatoire des autorités de l’Azerbaïdjan soviétiques a déjà réussi à vider de sa population arménienne le Nakhitchevan et les régions annexées par l’Azerbaïdjan du « Karabagh de la plaine ». Mais la population arménienne de   la RAHK (Région Autonome du Haut-Karabagh) résiste avec détermination à cette politique de « désarménisation ». Cette résistance fait qu’elle constitue encore  85%  de la population de l’oblast.

Le 20 février 1988, trois années après l’avènement de la Perestroïka, le Soviet de la RAHK vote le rattachement du Haut-Karabagh à l’Arménie, en toute conformité avec la Constitution soviétique. Mais ce choix démocratique et légal est rejeté par le Comité central du Parti communiste de l’URSS. De son côté, l’Azerbaïdjan soviétique répond à ce vote par une série de pogroms anti-arméniens sur tout le territoire de l’Azerbaïdjan, dans les villes de Soumgaït, Bakou, Kirovabad, Chamakhi, Chamkhor, Mingechaur. Ces opérations menées avec une grande violence et qui  font des centaines de victimes, ont pour but de terroriser les Arméniens de la République soviétique d’Azerbaïdjan. 

 

Les témoignages de  nombreux survivants, mais aussi d’officiels et de militaires soviétiques de haut rang attestent du caractère organisé et systématique de cette vague de violences. Une nouvelle phase de nettoyage ethnique des Arméniens en résulte dans tout le pays avec la déportation des populations arméniennes, y compris dans la RAHK. Cette vague de terreur entraîne le départ forcé de 450 000 Arméniens d’Azerbaïdjan, et de 180 000 Azerbaïdjanais d’Arménie. En 1989, 200 000 Arméniens vivaient à Bakou. Il en reste aujourd’hui très peu.

La « Première guerre du Karabagh »

De 1991 à 1993, depuis les bases militaires de Chouchi et de l’aéroport de Khojaly (région de Madakert), l’Azerbaïdjan bombarde quotidiennement les populations civiles des localités arméniennes, notamment Stepanakert, la capitale, où les habitants vivent terrés durant près de 3 ans dans les caves de leurs immeubles transformées en abris de fortune.

Entre avril et août 1991, les opérations réalisées par les unités du Ministère de l’intérieur soviétique (OMON) et les forces azerbaïdjanaises déclenchent la déportation des Arméniens du Haut-Karabagh, le bombardement des villes et villages arméniens. Ces opérations se transforment rapidement en attaque généralisée sur les Arméniens.

 En juin 1992, les forces azerbaïdjanaises occupent 40% du territoire du Haut-Karabagh et provoquent le déplacement de 66 000 personnes à l’intérieur de la région. Dans la seule localité de Maragha, plus de cent civils sont massacrés par les forces armées azéries. Mais la résistance arménienne s’organise. A deux reprises, en 1992 et en 1994, les agressions de grande envergure des forces azerbaïdjanaises sont repoussées par les brigades arméniennes d’auto-défense.

Le 31 août 1991, l'Arménie et l'Azerbaïdjan déclarent leur indépendance de l'URSS en voie d'effondrement. L’Azerbaïdjan se déclare comme État successeur de la « République démocratique d’Azerbaïdjan » de 1918-1920 qui n’incluait pas le Karabagh, en prenant le soin de supprimer dans le même temps le statut d’autonomie du Haut-Karabagh qu’il déclare partie-intégrante de son territoire. Deux jours plus tard, le 2 septembre 1991, constatant la dissolution de l’URSS, les autorités locales du Haut-Karabagh proclament à leur tour l'indépendance et créent une république auto-déterminée. Un référendum entérine cette indépendance le 10 décembre 1991 (Journée internationale des droits humains).

En mai 1993, les forces d’auto-défense arméniennes non seulement repoussent les agressions, mais elles réussissent aussi à créer une zone de sécurité autour du Haut-Karabagh, tout en désenclavant la région par l’ouverture de la route menant vers l’Arménie (Couloir de Latchine).

 

Le conflit se conclut par une victoire de la partie arménienne et un cessez-le-feu est signé grâce à la médiation de la Russie à Bichkek, au Kirghizistan, le 12 mai 1994 par des représentants de l'Arménie, de l'Azerbaïdjan et de la République du Haut-Karabagh. 

 

Débute alors une expérience démocratique unique dans la région du Sud Caucase  qui permet à la population artsakhiote, librement autodéterminée et désormais  libérée de toute menace d’anéantissement,  de se doter d’institutions démocratiques et d’organiser les élections sans doute les plus libres et les plus transparentes de la région. Dans le même temps, la République d’Artsakh ( Haut-Karabagh) se dote d’une « Armée de défense ».

Les tentatives internationales de résolution du conflit et leurs limites

Dès 1992, la « Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe » (CSCE, qui devient par la suite  OSCE) avait créé le « Groupe de Minsk » qu’elle dote d’une triple co-présidence française, américaine et russe, avec but d’aboutir à une solution pacifique et négociée du conflit du Haut-Karabagh.

 

Tout au long de ses 26 ans d’activité visant à prévenir une nouvelle guerre au Haut-Karabagh, le « Groupe de Minsk » a fait évoluer ses principes et mécanismes pour trouver une solution reposant à la fois sur les principes du « droit à l’autodétermination » des Arméniens du Haut-Karabagh et celui de « l’intégrité territoriale de l’Azerbaïdjan ». 

Durant ce laps de temps, plusieurs plans ont été esquissés pour atteindre cet objectif. Des rencontres réunissant des responsables des deux  parties belligérantes ont eu lieu dans plusieurs pays, dont la France (26 janvier 2001). Mais pendant cette même période de « ni guerre, ni paix », plusieurs centaines de jeunes militaires arméniens et azerbaïdjanais ont perdu la vie sur la ligne de front, victimes d’une guerre des snipers.

Rapidement, à un rythme soutenu, profitant des revenus de la manne énergétique dont il disposait, l’Azerbaïdjan s’est puissamment armé auprès de la Russie, et plus tard également d’Israël, du Pakistan et de la Turquie, tout en bénéficiant de nombreux soutiens techniques et logistiques comme celui des satellites d’observation français.

Dans la nuit du 1er au 2 avril 2016, l’Azerbaïdjan lancé une « guerre éclair » qui aurait sans doute dû alerter les autorités arméniennes et les co-présidents du groupe de Minsk. Cette guerre appelée « des 4 jours » a duré en réalité près de 10 jours, entraînant, selon certaines estimations, une centaine de victimes de chaque côté et l’occupation par les Azéris de 800 hectares du territoire arménien souverain. Une sorte de test destiné à mesurer les capacités de l’armée arménienne et les différentes parties concernées par ce conflit jusque-là «gelé ».

De la Guerre des « 44 jours » à l’occupation totale du Karabagh

Quatre ans plus tard, le 27 septembre 2020, profitant de la crise due à la pandémie du Coronavirus (COVID-19), et de la paralysie de la vie politique américaine liée aux élections présidentielles américaines, l’armée de l’Azerbaïdjan, avec la participation directe de la Turquie et le déploiement de mercenaires syriens envoyés par cette dernière, lançait une offensive  armée de grande envergure contre le Haut-Karabagh sur toute la longueur de la ligne de contact.

Cette  guerre dite « des 44 jours », et appelée par les Azéris « opération coup de poing », a pris fin le 9 novembre 2020, « grâce à la médiation de la Russie ». 

Elle s’est conclue par une défaite arménienne qui a entraîné la mort de  près de 5 000 combattants du côté arménien et la capture de plus de 200 prisonniers de guerre par l’Azerbaïdjan. De son côté, ce pays n’a jamais publié le chiffre de ses victimes. 

Certains spécialistes de géopolitique et de questions militaires considèrent que ce conflit a marqué un tournant capital dans l’histoire militaire en raison de l’emploi de nouvelles technologies, en particulier des drones. Pour nombre de ces spécialistes, elle préfigure par ses caractéristiques diplomatiques et militaires l’invasion de l’Ukraine par la Russie en février 2022.

 

Enhardi par cette victoire militaire et par l’inaction de la communauté internationale, à trois reprises, les 12 mai et 5 novembre 2021, puis le 13 septembre 2022, l’armée azerbaïdjanaise a de nouveau réalisé d’importantes incursions en violant les frontières de l’Arménie, occupant 215 km2 du territoire souverain du pays. 

Ces opérations d’agressions ont provoqué des centaines de victimes et la capture de nombreux  arméniens, civils ou militaires. Plusieurs dizaines de personnes ont été victimes d’exécutions sommaires, dont une femme militaire, mère de trois enfants, Anouch Apétian, violée, assassinée et sauvagement démembrée  le 12 ou 13 septembre 2022,  lors de l’offensive azerbaïdjanaise sur la ville arménienne de Djermuk . Ces cas ont été documentés par plusieurs organisations internationales des droits de l’homme.

En violation de l’accord de cessez-le-feu du 9 novembre 2020, le 12 décembre 2022, après un simulacre de manifestation attribuée à de prétendus « écologistes », Bakou a instauré durant 10 mois  un blocus total du Haut Karabagh, déclaré illégal par la Cour Internationale de Justice (CIJ). 

La mise à mort de l’Artsakh arménien et de sa démocratie

Pour atteindre son objectif final, c’est-à-dire l’occupation totale de la République d’Artsakh, le 19 septembre 2023 l’Azerbaïdjan a lancé une ultime agression militaire parachevant ainsi le nettoyage ethnique programmé des Arméniens d’Artsakh.  

Cette opération de déplacement forcé vers l’Arménie a chassé de leurs terres ancestrales plus de 100 000 Arméniens autochtones fuyant  les exactions et les traitements inhumains pratiqués par  l’Azerbaïdjan. Près de 50 000 d’entre eux s’étaient déjà réfugiés en Arménie durant la « Guerre des 44 jours ». D’après des informations émanant du Comité International de la Croix Rouge (CICR), ne subsisteraient plus en Artsakh que 25 Arméniens des deux sexes, toutes des personnes âgées, parfois atteintes de pathologies lourdes, qui n’ont pas voulu quitter leur logis et leur terre.

Le 17 septembre, soit deux jours avant l’offensive azerbaïdjanaise, une réunion informelle entre les États-Unis, la Russie et l’Union européenne avait eu lieu à Istanbul pour évoquer le sort du Haut-Karabakh.

Au terme de ce nettoyage ethnique, sans doute le plus radical et le plus rapide de toute l’histoire, pour la première fois, cette terre d’Artsakh arménienne depuis des temps immémoriaux, était privée de sa population. Huit de ses dirigeants ont été kidnappés par l’armée azérie et placés de manière illégale en détention à Bakou, avec des chefs d’inculpations qui préfigurent d’ores et déjà de très sévères verdicts au titre des articles 214-1 (financement du terrorisme), 279.3 (participation à la création et à l'activité de groupes armés ou de groupes non prévus par la loi) et 318.1 (franchissement illégal de la frontière de la République d'Azerbaïdjan) du Code pénal azerbaidjanais.​

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