L'histoire du prisonnier de guerre Hrayr Herabyan racontée par son épouse Aline qui élève seule leurs deux filles.
Des enfants jouent à chat sous le regard amusé de leur mère et des voisins venus boire le café, une vieille dame ramasse les mauvaises herbes dans son potager, et deux garçons passent à vélo en saluant tout ce petit monde. A première vue, rien ne laisse présager qu’un drame sourd pèse depuis deux ans et demi sur la famille des Herabyan, originaire du village de Goghovit (Chirak). Mobilisé lors de la seconde guerre d’Artsakh, Hrayr, 28 ans, a été fait prisonnier avec une soixantaine de soldats de son unité, quelques jours après la signature de l’accord de cessez-le-feu du 10 novembre 2020. Par la suite, il a même été condamné à six ans de prison par la justice azerbaïdjanaise avec treize de ses camarades. Nous avons rencontré sa femme, Aline, pour mieux comprendre l’épisode douloureux que traverse ce foyer habitué à une vie plus paisible.
Pouvez-vous nous présenter brièvement votre famille ?
Aline Vardanyan (A. V.) – Hrayr et moi avons deux filles, Syuzi et Anahit, qui ont cinq et dix ans. Je suis originaire du village de Moussayelian, au sud d’Ashotsk, à une dizaine de kilomètres d’ici. Actuellement, nous vivons dans la maison paternelle de Hrayr, avec ses parents et ses deux frères. Avant la guerre, Hrayr et moi avions acheté une maison dans le village et nous devions nous y installer à l’automne 2020.
Que faisait votre mari avant la guerre de 2020 ?
A. V. – Il travaillait dans l’agriculture et l’élevage avec son père et ses frères. Il n’a pas fait d’études supérieures. Après avoir terminé l’école, il est parti faire ses deux ans de service militaire en Artsakh, à Askeran. A part ça, il aime bien faire de la mécanique sur sa voiture ou celle de son père, et il rend service à des gens à l’occasion.
Comment décririez-vous sa personnalité ?
A. V. – C’est un homme tranquille, sincère, sensible et parfois émotif.
Parlez-nous de sa mobilisation au moment de la guerre des 44 jours…
A. V. - Il est parti le 27 novembre avec une unité composée d’hommes de la province du Chirak. Ils ont été envoyés dans les villages de Khtsaberd et Hin Tagher (en Artsakh) . Pendant la guerre, on s’appelait quasiment tous les jours. Il ne disait pas grand-chose sur les opérations militaires, mais il répétait que leur présence n’avait pas de sens car il n’y avait pas de combats là où ils étaient.
Comment avez-vous découvert qu’il a été fait prisonnier ?
A. V. – Le jour où c’est arrivé, je lui avais parlé au téléphone dans la matinée. Il s’apprêtait à descendre au village à cheval pour rapporter des vivres pour les soldats. Il m’a montré les positions des Azéris sur le sommet d’en face. Elles étaient très proches. Il a dit qu’il me rappellerait dans la soirée. Mais il n’a jamais rappelé. J’ai alors appelé l’oncle de Hrayr, qui servait dans la même unité, mais ce sont des Azéris qui ont répondu. Et on a compris qu’ils avaient été faits prisonniers. C’est un miracle qu’ils n’aient pas été tués.
Actuellement, avez-vous la possibilité de communiquer avec lui ?
A. V. – Nous pouvons lui parler par l’intermédiaire de la Croix-Rouge, tous les 40 jours environ. En ce moment, il ne va pas bien du tout. La dernière fois que je lui ai parlé, il était encore plus déprimé et désespéré qu’avant. Il faisait de la peine à voir, il arrivait à peine à parler. Comme je vous l’ai dit, il est parfois émotif et dans ces conditions, il arrive difficilement à se maitriser. Quand je lui dis qu’il faut patienter encore un peu, qu’il va bientôt revenir, il me répond : « Non, on vous raconte des histoires, ne vous laissez pas berner. Il n’a plus aucun espoir». En ce qui concerne les conditions de détention, il m’assure que tout est normal. Dans les lettres qu’il nous envoie, il ne peut pas dire grand-chose, parce qu’elles sont relues là-bas et ici.
Quelles sont les organisations qui vous aident dans vos démarches pour sa libération ?
A. V. – En ce moment, seule la Croix-Rouge nous aide. Les avocats font leur travail, mais ça ne donne pas de résultats. Le plus dur, c’est pour les enfants. Leur père leur manque. Il aurait fallu rapatrier en premier les soldats qui ont des enfants. Car ce n’est pas possible de répéter les mêmes promesses indéfiniment. Personnellement, je ne crois pas que les efforts du gouvernement vont aboutir à leur libération. Nous n’attendons des résultats que des organisations internationales.
Comment vos enfants vivent-ils cette situation ?
A. V. – C’est très difficile pour ma grande fille. Elle est devenue très agressive. Avec son père, elle était différente. La petite avait deux ans quand Hrayr est parti mais maintenant, elle commence à mieux comprendre ce qui se passe. Une nuit, elle s’est endormie avec sa photo contre sa poitrine. Une autre fois, il y avait une rencontre au village avec un des soldats revenus de captivité. Ma petite est allée le voir et lui a demandé : « Pourquoi tu n’as pas ramené mon papa ? Pourquoi toi, tu es revenu, et pas lui ? » Et ce soldat s’est mis à pleurer.
Où trouvez-vous la force de surmonter cette épreuve ?
A. V. – Ce sont mes enfants qui me donnent la force de résister. C’est pour eux que je vis. Pareil pour mes beaux-parents : ils font tout pour que les enfants ne sentent pas l’absence de leur père. On sait que Hrayr va revenir un jour, mais on ne sait pas quand ce jour viendra. Nous pensons à lui jour et nuit, nous ne savons pas quoi faire. Notre seul espoir est en Dieu.
Propos recueillis par
Achod Papasian
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